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La fabrication de la Bohême est une fabrication de verre; mais
le verre qu'elle produit à très bas prix est assez blanc
et assez limpide pour faire simultanément une concurrence redoutable
au verre et au cristal des autres pays.
La majeure partie des verreries de Bohême ont été
créées dans le seul but d'utiliser des bois qui n'auraient
aucune valeur sans l'introduction de cette industrie. C'est ainsi qu'un
certain nombre de verreries et de forges ont été établies
en France, il y a cent et cent cinquante ans, au centre de nos contrées
forestières.
Mais la richesse croissante de notre patrie a multiplié les besoins
et développé ces industries, au point que les bois sont
devenus fort recherchés et fort chers. En Bohême, au contraire,
l'accroissement de la richesse a été incomparablement plus
lent; le peuple est resté pauvre et sans besoins, ou sans moyen
d'y satisfaire; les bois sont encore presque sans valeur, et l'ouvrier
bohémien, ardent, adroit et intelligent, reçoit des salaires
qu'on a de la peine à s'expliquer quand on vit en France, et dont
on déplore, dans tous les cas, l'exiguïté.
La consommation du verre étant presque nulle en Bohême, cette
contrée exporte presque tous ses produits soit dans les provinces
plus riches de l' Autriche, soit dans toute l' Allemagne, en Suisse, en
Italie, en Orient, en Russie, en Amérique, etc.
Cette industrie est devenue tout à fait populaire dans le pays,
où elle assure à une partie importante de la population
une occupation qui ne l'enrichit pas, mais qui contribue à la préserver
de la misère, et qui procure en même temps un revenu à
ses grands propriétaires par l'emploi de leurs bois.
Ces nombreux établissements, placés généralement
au milieu des forêts, d'une construction toute rustique, produisent
de la verrerie courante, des pièces destinées à être
très-ouvragées ou richement gravées, et des verres
de couleur qui sont décorés de dorures et de peintures.
Une longue expérience de la fabrication des verres colorés
a rendu ces ouvriers d'autant plus habiles dans cette partie, qu'ils sont
dirigés au besoin par les conseils de quelques hommes instruits
qui se sont fait une profession de la recherche et de la vente des procédés
et des perfectionnements de la verrerie, et que quelques riches seigneurs
avancent, quand il le faut, les capitaux nécessaires pour assurer
le succès des usines établies sur leurs propriétés.
La taille et la lustrerie constituent des industries spéciales
montées dans des baraques, sur de petits cours d'eau, avec des
roues faites avec la plus grande simplicité.
La gravure, la dorure et la peinture forment également des industries
séparées, qui sont toutes exercées avec la même
parcimonie dans les prix de main-d'oeuvre.
Enfin tous ces produits sont recueillis par des maisons de commerce, qui
les expédient sur les lieux de consommation.
Il est difficile de comparer ces produits aux nôtres dans les articles
courants. La matière n'est pas la même. Son verre est pur,
blanc, léger, agréable à la main. Il n'a pas le brillant
de notre cristal et il est exposé à jaunir avec le temps.
La Bohême a conservé ses formes, qui diffèrent complètement
des nôtres, et qui sont appréciées par certains consommateurs,
peut-être parce qu'elles sont étrangères, à
tel point que nous sommes quelquefois obligés de les imiter.
Sa fabrication s'éloigne le plus de celle des autres nations. Pour
faciliter et abréger le travail des fours, elle fait rogner par
la roue du tailleur les bords de ses gobelets, de ses verres à
pied et autres pièces ouvertes que l'Angleterre, la Belgique et
la France font rogner par le ciseau du verrier; et sa grande habitude
en ce genre de travail a fait acquérir à ses ouvriers une
habilité qu'on ne retrouve chez aucun autre peuple dans la production
des pièces à calotte, c'est-à-dire des pièces
dont la partie supérieure doit être enlevée par le
tailleur, au lieu d'être ouverte par le verrier. Ces bords rognés
par la taille sont moins arrondis, moins agréables à l'usage,
et plus exposés à être ébréchés
que ceux qui sont rognés au feu; mais ils ont un aspect plus net
et plus satisfaisant à l'œil; la pièce est plus unie,
l'ouvrier étant dispensé du soin qu'il est obligé
de prendre pour éviter de la rayer en l'ouvrant avec ses pinces.
La majorité des consommateurs préfèrent nos bords;
on s'habitue cependant facilement à ceux de la Bohême, qui
ne sont pas un obstacle à l'écoulement de ses produits.
Mais le grand avantage des fabricants de cette contrée, c'est le
bas prix de leur verre.
Pour les articles de fantaisie et les verres
colorés, il y a, dans les produits de la Bohême, une
originalité qui n'est pas toujours d'accord avec le bon goût,
mais qui est appréciée et recherchée par les consommateurs,
précisément parce qu'elle diffère essentiellement
de ce qu'on fait en France. C'est la Bohême qui a donné naissance
à cette nature de produits, qui est plus en rapport avec le goût
allemand qu'avec le goût français; elle a sur nous le droit
d'ancienneté, droit si précieux et si puissant en industrie.
Les produits de ce pays sont moins soignés que les nôtres
dans les détails; les objets défectueux sont mis en vente
comme les autres; les bouchages des flacons et autres pièces analogues
sont faits avec une négligence qui ne serait pas tolérée
en France. Avec ces défauts, qui feraient repousser nos articles,
et qui sont acceptés comme inhérents à l'article
de Bohême, ces produits ont un brillant, un aspect de richesse et
un style original qui séduisent d'autant plus qu'ils sont en même
temps à des prix relativement très-modérés.
Bien que nous vendions à l'étranger des cristaux
colorés, en concurrence avec la Bohême, et que les qualités
particulières à notre fabrication y soient estimées,
si nos frontières étaient ouvertes aux verreries de ce pays,
il en entrerait inévitablement des quantités considérables;
peut-être ce goût s'éteindrait-il d'ici à quelques
années, et nous rendrait-on la préférence que nous
nous efforçons de mériter, mais jusque-là nous en
éprouverions un préjudice notable.
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